Tchad : la flambée des prix aggrave une pauvreté déjà structurellement élevée
Billet d'actualité
June 20, 2025, 7:34 p.m.
Bao-We-Wal Bambe
Chercheur au German Institute of Development and Sustainability (IDOS), Bonn, Allemagne
Tchad : la flambée des prix aggrave une pauvreté déjà structurellement élevée
Le Tchad connaît une flambée des prix, alimentée par des facteurs à la fois externes et internes. En 2022, l’inflation[1] a frôlé les 6%, portée par la hausse des prix mondiaux, notamment ceux des denrées alimentaires et de l’énergie, fortement aggravée par les répercussions de la guerre en Ukraine. Le pays, fortement dépendant des importations alimentaires, subit de plein fouet les variations des cours internationaux, avec des répercussions directes sur les prix à la consommation. Cette tendance s’est aggravée en 2023, avec une inflation qui a atteint près de 11%. Cette hausse s’explique par la pression accrue sur la demande alimentaire, notamment en raison de l’arrivée massive de réfugiés soudanais, et par l’augmentation des coûts de transport. À cela s’ajoute une pénurie de carburant liée aux travaux de maintenance de la seule raffinerie du pays, accentuant les tensions inflationnistes (source : Banque de France, 2023).[2] Par ailleurs, le Tchad reste l’un des pays les plus exposés aux aléas climatiques. Classé en 2024 comme l’État le plus vulnérable au changement climatique, il est régulièrement frappé par des épisodes de sécheresse, d’inondations et d’irrégularité des pluies. Ces chocs affectent directement la production agricole, réduisant l’offre nationale et aggravant l’insécurité alimentaire. Il en résulte donc une pression supplémentaire sur les prix et une baisse des revenus pour de nombreux ménages ruraux.
La flambée des prix observée au Tchad a un impact direct sur le niveau de vie des ménages, aggrave une pauvreté déjà structurellement élevée, et renforce l’insécurité alimentaire chronique dans le pays. Classé parmi les nations les plus pauvres au monde, le Tchad affiche un Indice de Développement Humain (IDH) de seulement 0,394 en 2022, le plaçant 189e sur 193 pays. Dans ce contexte, la poussée inflationniste ne fait que creuser davantage les déséquilibres économiques déjà existants. Selon les dernières données du rapport Macro Poverty Outlook de la Banque mondiale,[3] le taux de pauvreté devrait augmenter de 2,6 points pour atteindre 39,4 % en 2024, ce qui représenterait environ 7,9 millions de personnes vivant dans l’extrême pauvreté. Cette tendance devrait se maintenir, le taux de pauvreté oscillant autour de 40% jusqu’en 2027. Malgré une reprise modérée de la croissance, avec une hausse du PIB estimée à 2,8% en 2023 et 4,1% en 2024, le pays reste confronté à de lourdes contraintes budgétaires. Le déficit public, évalué à 1,9% du PIB en 2024, limite considérablement la capacité du gouvernement à répondre efficacement aux défis socio-économiques croissants.
Alors que l’inflation nationale reste élevée, atteignant près de 9% en 2024, des perspectives de désinflation commencent à se dessiner. En mars 2025, la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) a abaissé son principal taux directeur, le ramenant de 5% à 4,5%. Cette décision vise à soutenir une baisse progressive de l’inflation, afin de converger vers le taux cible de 3 % fixé par la Communauté Économique et Monétaire de l'Afrique Centrale (CEMAC) d’ici 2027 (Rapport Macro Poverty Outlook de la Banque mondiale). Cependant, cette trajectoire reste fragile. Les incertitudes liées au contexte international, notamment la réduction drastique de l’aide internationale, la volatilité des prix du pétrole (dont l’économie tchadienne dépend largement) et les chocs climatiques récurrents (sécheresses, inondations, instabilité agricole) viennent assombrir les perspectives. Néanmoins, cette convergence dépendra fortement de la capacité du pays à faire face aux aléas extérieurs et aux déséquilibres structurels internes.
[1] L’inflation est définie comme une augmentation générale des prix des biens et services, sur une période assez longue. Elle est mesurée par la croissance annuelle de l'indice des prix à la consommation (IPC).