Benjamin ALLAHAMNE MINDA
Secrétaire Général du CRDT
Chercheur en Droit international économique
Université Lyon 3 Jean Moulin
L’impact relatif des droits de douane américains sur les pays africains
Trump est de retour, le ‘‘Far West’’ commercial est acté. En tout cas, l’actualité ne dément pas les faits. De 3,3 % en 2023, les droits de douane américains sont passés à 10% minimum pour tous les partenaires commerciaux des Etats-Unis et 145% pour la Chine. Cette situation a créé une panique dans les échanges commerciaux internationaux. Qu’en est-il des pays africains ?
Jusqu’à son élection, la plupart des pays africains ont des échanges commerciaux sous le régime de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA). Adoptée par le Congrès en 2000, cette loi vise à faciliter l'accès au marché américain aux pays africains qui suivent les principes de l'économie libérale.
La plupart des pays d’Afrique subsaharienne bénéficiaient alors de cette facilité. Elle couvrait environ 1800 produits différents. Madagascar et le Lesotho se sont beaucoup appuyés sur ce texte pour développer leurs industries textiles.
La zone grise que fait planer Trump sur l’application intégrale des nouveaux droits de douane est donc inquiétante pour ces pays. On assiste à deux mouvements, des impacts immédiatement prévisibles (I). Des impacts ensuite à relativiser en raison de la faiblesse des échanges avec le pays de l’oncle Sam (II).
I. Les impacts prévisibles immédiatement
Si l’escalade se poursuit avec la Chine et qu’il y a une reprise sur l’application effective des droits de douane décrétés actuellement pour les pays africains, certains pays seraient impactés. L’Afrique du Sud devait notamment hériter de droits de douane de 31%, Madagascar de 47%, la Tunisie de 28%, et l’Algérie de 30%[1].
Le Lesotho, qui a considérablement développé son industrie textile et exporte 27,5 % de sa production vers les États-Unis, est menacé par l’imposition de droits de douane pouvant atteindre 50 %. Si cette mesure entrait en vigueur, le pays pourrait perdre jusqu’à 8,2 % de son produit intérieur brut (PIB), selon les estimations du cabinet de conseil Global Sovereign Advisory.
D'autres pays se trouvent dans une situation comparable. Madagascar pourrait ainsi voir disparaître 2,2 % de son PIB, tandis que la Tunisie risquerait une perte de 0,41 %. Le Botswana (0,7 %) et l’Afrique du Sud (0,7 %) figurent également parmi les économies les plus exposées. Cette dernière serait particulièrement touchée par la mise en place de droits de douane additionnels de 25 % sur le secteur automobile, une mesure toujours d’actualité.
Au Tchad, l’augmentation pourrait entraîner une la hausse du coût des produits (gomme arabique, coton, sésame et arachide, cuirs et peaux) exportés par le pays et diminuer leur accès sur le marché américain. D’après M. DJIMADOUM MANDEKOR, « les exportations totales du Tchad pourraient se contracter. Surtout si les entreprises concernées ne réussissent pas à aller rapidement vers d’autres pays [2]».
Aussi, étant donné que l’économie tchadienne repose sur l’exportation du pétrole, la dépréciation du baril pourrait impacter les finances publiques. Les pays membres de la CEMAC ne sont pas également épargnés. La diminution des exportations entraîne une conséquence mécanique sur les emplois et le budget.
En conséquence, les pays africains, qui ont développé le commerce vers les États-Unis sans avoir les moyens d’acheter des produits américains, se retrouvent les plus menacés par ces droits de douane punitifs suspendus pour 90 jours. Toutefois, hormis les pays indexés, les impacts seront relatifs pour beaucoup de pays africains. On pourrait davantage craindre des impacts indirects.
II. Des impacts à relativiser et plus indirects
Si l’annonce des mesures est effroyable, l’impact sur le continent africain est à relativer pour quelques raisons. D’abord, parce qu’à ce jour, seulement environ 6 % des exportations africaines sont destinées aux États-Unis. Ensuite, parce que la Maison Blanche a pris soin d’exempter de droits de douane certains produits africains jugés stratégiques, tels que le pétrole, le caoutchouc ou encore les minerais critiques.
Au total, près de 40 % des exportations africaines vers les États-Unis échappent ainsi aux sanctions commerciales imposées par l’administration Trump, selon les estimations de Global Sovereign Advisory. Des pays comme l’Algérie ou la Libye, dont les exportations vers les États-Unis sont essentiellement composées de pétrole, sont donc quasiment épargnés par ces mesures tarifaires.
Selon les économistes « les États-Unis ont besoin de toujours plus de ces minerais pour leurs véhicules électriques, les puces des grands calculateurs, des ordinateurs et des téléphones, et le continent africain dispose de 30 % des réserves mondiales[3] ». Pour preuve, l’Ukraine et la République démocratique du Congo ont tous deux cherché à obtenir une garantie sécuritaire américaine en échange de leurs minerais. Ce qui veut dire que même en application de 10% de droits de douane, il est fort probable que l’administration américaine favorise la négociation pour obtenir ces matières vitales à son industrie numérique.
Mais au-delà, c’est surtout l’impact indirect qui risque d’inquiéter les économies africaines dans cette guerre commerciale. En réalité, l’appauvrissement de la Chine induirait par ricochet une conséquence négative sur l’Afrique. La Chine est en effet devenue le premier partenaire commercial de la quasi-totalité des pays du continent. Selon le FMI, environ 20 % des exportations africaines vont en Chine, et 16 % des importations en proviennent. De plus, elle détenait 17 % de la dette publique extérieure de l’Afrique subsaharienne en 2021[4].
Les pays africains dont l’économie repose sur de l’exportation seront désavantagés. La hausse des droits de douane signifie moins d’exportations, ce qui veut dire moins de dollars qui entrent dans le pays, et en conséquence un affaiblissement de la monnaie locale. Or, une part importante de la dette des pays africains est libellée en devises étrangères, principalement en dollars. Par conséquent, il faut mobiliser davantage de monnaie locale pour honorer chaque échéance. Pour les États africains, cela se traduit par une hausse brutale du coût du service de la dette[5]. Concrètement, si l’on suppose que le dollar passe de 600 à 700 francs CFA, un pays devra débourser 100 FCFA de plus pour rembourser chaque dollar emprunté. Ce qui est énorme pour des budgets déjà sous pression.
En conclusion, même s’il faut relativiser l’impact des droits de douane américains sur les pays africains, la poursuite de la guerre commerciale avec la Chine n’est pas avantageuse. Dans un contexte international incertain, cette situation doit interpeller l’Afrique à plus d’unité dans le cadre de l’intensification des échanges commerciaux aux niveaux sous-régional et continental.
[1] Mathieu Solal, Alexandre Gilles-Chomel, Clément Solal et Sophie Hus, « L’Afrique face au danger Trump », BLOCS, 16/04/2025 [en libre-accès].
[2] Propos recueillis par Tchad infos. Voir Ndalet Pohol, « Augmentation des taxes douanières par Trump : quelles conséquences sur l’économie tchadienne ? », Tchad Info, 09/04/ 2025.
[3] Analyse de Julien Marcilly, chef économiste de Global Sovereign Advisory. « Afrique : un continent dans la tourmente de la folie tarifaire trumpienne », Le Moci, 16/04/2025.
[4] Ibidem.
[5] Martin Agan, « Pourquoi les droits de douane de Trump menacent le fragile équilibre de la dette africaine », Jeune Afrique, 15 Avril 2025.